Interview Michel de Guilhermier – Savoir pivoter rapidement
Michel de Guilhermier est Cofondateur et Président de Day One, un fond d’investissement particulièrement solide.Diplômé de HEC, Michel a une carrière extrêmement riche, débutée en 1987.
Il a commencé sa carrière d’investisseur en 1996 en rachetant un groupe de près de 40 magasins.
Il a aussi fondé Photoways en 1999, devenu Photobox, numéro 2 mondial de son activité en 2020 avec des centaines de millions de CA annuels.
Il a enfin investi dans des dizaines d’entreprises, toujours avec une vision long terme et de très belles réussites.
Dans ce podcast, Michel nous explique pourquoi il est fondamental de pivoter rapidement pour réussir dans le business.
Je suis un lecteur assidu de son blog depuis de nombreuses années et ne peux que vous le recommander.
Voici les informations permettant de le suivre :
– Blog : http://www.deguilhermier.com/
– LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/michel-de-guilhermier-9372b
– Twitter : https://twitter.com/mitchdeg
Voici la transcription de cette vidéo :
Stéphane : Bonjour Michel, ça va ?
Michel : Bonjour Stéphane, très très bien et toi ?
Stéphane : Bien bien, alors dans mon environnement tu es une personne que j’apprécie beaucoup, je lis ton blog depuis au moins 6 ou 7 ans, puisque ton expérience est juste incroyable.
Michel : En fait le blog je l’ai créé en 2003
C’est en mars 2003 que mon ami Loïc Lemeur m’a fait découvrir le monde des blogs, j’ai trouvé super, on peut communiquer facilement etc, et je l’ai créé, mais à l’époque c’était un blog je dirai à la fois professionnel pour Photoways, Photobox et pour moi, et je mettais un peu les 2 choses aussi bien le personnel que pour le Photoways, et après j’en ai fait un blog perso et un blog, donc c’était il y a 17 ans.
Stéphane : 17 ans et il a toujours de vieux look.
Michel : Il a toujours ce look surrané, vintage effectivement qui me va bien à vrai dire.
Stéphane : Oui, mais le contenu est là, et franchement moi j’y vais, tout ce que je peux lire dessus, j’apprends des trucs, donc du coup moi je suis dit je vais demander à Michel qui a un parcours très long et très réussi, quelles anecdotes il peut nous dire, quelles histoires incroyables il peut nous raconter et je crois que tu as trouvé quelque chose, dis-moi.
Michel : Oui bien sûr. J’ai pas mal d’anecdotes, au bout de 35 ans de carrière et notamment 20 ans d’entrepreneuriat je n’aurai pas mal d’histoires. Mais il y a une en fait qui me tient à cœur parce qu’elle montre bien que, même si en tant qu’entrepreneur il faut s’accrocher il faut être tenace, en même temps il faut être réaliste. Il faut savoir complètement pivoter s’il le faut. Le but en tant qu’entrepreneur quand on veut une belle carrière, il faut savoir s’accrocher, en même temps il faut réussir. Et parfois la réussite dépend aussi d’un pivot radical.
Alors je vais donner un exemple que j’ai eu en 2008 en fait, je crée un groupe qui s’appelle Inspirational Stores, dont le métier était ce que l’on appelle la délégation e-commerce. Ca veut dire quoi ? On prenait totalement à notre charge le fait de créer un e-commerce pour les belles marques, on travaillait avec Laduree (laduree.fr), avec (inaudible), dans la fringue avec Daniel Crémieux, avec (inaudible) pour la mode féminine etc., alors je faisais complètement tout : je faisais le site, le marketing, la logistique etc. et on était payé en royalties sur ce qu’on faisait (sur le chiffre d’affaires), on avait quand même levé 15 millions en pleine crise financière en 2008, ce qui était une belle performance, et en fait un mois après la levées de fonds, on a expliqué aux actionnaires qu’il fallait pivoter complètement et tout arrêter.
Stéphane : Un mois !
Michel : Un mois après, je me rappelle on a levé les fonds en septembre 2008, et en octobre on s’est dit : écoutez, on a bien réfléchis, ça fait 6 mois qu’on a fait une levée de fond, maintenant on a 6 mois de recul et on se rend compte qu’il faut effectivement pivoter parce qu’en fait le business n’est pas bon, les clients ne seront jamais vraiment contents, ils demandent des choses (de faire ci de faire ça, faire pas ça, pas ça). Soit ils génèrent des coûts en plus, soit ils minorent le chiffre d’affaires, donc des clients très compliqués donc il nous coûtait très chers pour faire ça, ce qui n’était pas rentable. Donc on s’est dit : entre des clients jamais contents, et un business économiquement très compliqué, il valait mieux pivoter.
Donc on a pivoté en toute discrétion, on a rien dit à personne, au contraire et on a tranquillement cherché d’autres voies de faire du business, et on a comme ça racheté ‘Motoblouz’ en mi 2009, très discrètement, tout en faisant croire à la concurrence qu’on avait, qu’on restait dans le secteur et qu’on continuait la délégation sur e-commerce. Alors justement j’avais un concurrent qui s’appelait Mix commerce à l’époque, qui avait aussi levé comme moi 15 millions d’euros pour faire le même métier, avec qui j’étais en contact parce que le gars je le connaissais depuis quelques années. Et justement je l’émoustillais un petit peu lui disant : tu sais dans ce secteur là on va continuer à se battre, etc. etc., il me disait : Michel tu n’auras que les miettes de ce secteur là. Nous on avait déjà pivoté, on avait déjà racheté Motoblouz etc., en gros je l’émoustillais pour qu’il reste dans le secteur et qu’il continue à s’enfermer, donc effectivement dans le secteur il a continué à investir. Résultat : quelques années plus tard, alors que nous on avait racheté Motoblouz qui est devenue une très belle société parce que Motoblouz est devenue quand même le n° 2 en Europe dans l’équipement moto sur internet. Mon concurrent Mix Commerce a fait faillite, a cramé ses 15 millions, a perdu 15 millions, et s’est revendu pour 1 € symbolique à La Poste.
On observe aussi que l’ensemble des concurrents du secteur sauf un se sont cassés la gueule ou étaient en dépôt de bilan, il y avait à l’époque des gens comme (inaudible) en dépôt de bilan et liquidation, des gens comme (inaudible), pareil, ont dû être revendus pour une bouchée de pain, donc clairement on avait un secteur qui n’était pas du tout favorable, un secteur compliqué, qui demande beaucoup d’investissements, et avec très peu de retour potentiel et des clients jamais contents. Quand on a ce genre de choses, vaut mieux partir du secteur.
Stéphane : Toi tu t’en es aperçu, mais les autres pas ?
Michel : Exactement, c’est exactement ce que je dis.
Stéphane : C’est quoi le truc ?
Michel : Je m’en suis aperçu, et on a pivoté discrètement et correctement on rachetant Motoblouz puisqu’on avait le capital de 15 millions, on avait du cash dans les caisses qu’on a utilisé pour pivoter et en rachetant Motoblouz, donc on est passé en gros de la vente du caviar et des macarons à de la vente d’équipements moto sur internet donc vraiment un pivot radical. Mes concurrents qui n’ont pas compris ça se sont cassés la gueule et on cramé les millions.
Stéphane : Oui mais tes concurrents étaient compétents, comment toi ou vous vous avez pu voir ce qu’ils n’ont pas vu ?
Michel : En fait, c’est un peu comme l’entreprenariat, l’entrepreneur est toujours enthousiaste pour son business, s’il n’est pas enthousiaste il ne va pas se lancer, il y croit, il a encore l’espoir que ça va marcher, mais en même temps il faut être extrêmement lucide, froid, pragmatique sur le business lui-même, si les marges ne sont pas bonnes, si les clients ne sont jamais contents ce qui cause des problèmes pour la négociation des prix, on est dans une impasse !
Donc c’est très compliqué pour un entrepreneur qui s’est lancé avec enthousiasme, avec foi, qui a investi, qui avait l’argent, de reconnaître : oh là, ce n’est pas mon secteur, je quitte le secteur et je pivote, c’est très très compliqué.
Stéphane : Toi tu dis attention à l’émotion, il faut rester analytique et pas s’accrocher humainement.
Michel : Il ne faut pas être amoureux de son business, il faut être passionné il ne faut pas être amoureux, l’amour rend aveugle, il faut rester lucide. Quand le secteur n’est pas bon, il faut le reconnaître pragmatiquement et pivoter.
Stéphane : Ok, c’est clair.
Michel : C’est aussi simple que ça, ce qui donne aussi d’ailleurs un conseil aux investisseurs, moi j’avais quand même mis dans ma poche pas loin de 2 millions, on voyait bien que j’étais quand même très motivé. Ils savaient bien que si je disais qu’il fallait pivoter c’est que moi-même, pour mon patrimoine, je trouvais que c’est quand même important, donc il est important pour un investisseur que son entrepreneur mette aussi du capital à l’entreprise. Parce que si jamais il voit que ce n’est pas un bon business, il aura quand même intrinsèquement, pour sauver son patrimoine, le besoin de pivoter.
Stéphane : Ok, je vois. Ecoute c’est super intéressant parce que je pense que beaucoup subissent leurs propres émotions et s’accrochent trop au bébé et on voit ce que ça donne, ça prend très longtemps avant de se dire : bon finalement, et alors plus tu es engagé moins tu as envie de laisser.
Michel : Moi j’ai un truc qui m’amusait en fait, j’avais un concurrent en 2000 chez Photoways qui s’est fait racheter par Photobox en 2014 et le gars doit faire 100 000 € de chiffre d’affaires, 14 ans après ! Et le gars s’est accroché, s’est accroché mais à un moment donné c’est bon, accroché depuis 7- 8 ans, je reste. Et voilà en 14 ans il aurait fait 100 000 € de chiffres d’affaires, bravo.
Stéphane : Effectivement.
Michel : C’est le principe de (inaudible) en fait, plus on s’enfonce dans un secteur, moins il est facile de s’en retirer, donc plus on s’aperçoit très vite que ce n’est pas un bon secteur, mieux c’est.
Stéphane : Ben écoute, un bel enseignement à retenir, merci encore Michel et à très vite pour la suite.
Michel : Merci Stéphane.