Interview Eric Alessandri – Réussir en partant de rien
Fin 2019 : Eric Alessandri lève 14 millions d’€ pour Wizaplace, la solution de Marketplace qu’il a fondé quelques années auparavant.
Et pourtant, Eric est issu d’une famille ouvrière. Son père était tourneur fraiseur chez Alstom et sa mère au foyer.
Comment as t-il fait pour en arriver là ?
A t-il pris des risques inconsidérés ? A t-il fait UNE rencontre déterminante ?
Il vous dit tout dans ce podcast.
Voici la transcription de cette vidéo :
Stéphane : Salut Eric, comment vas-tu ?
Eric : Ça va super bien, et toi ?
Stéphane : Moi impeccable, depuis que je vois des gens comme toi et que j’apprends des choses d’eux, je suis très heureux. Moi je te connais depuis maintenant pas loin de 5 – 10 ans qu’on discute ensemble sur un groupe Facebook d’entraide entre e-commerçants, et je crois qu’on était parmi les plus actifs.
Donc en clair j’ai compris que tu avais une vraie vision et en fait j’étais très intéressé quand tu as créé cette entreprise qui permet de créer des places de marché ?
Eric : Oui, tout à fait, j’ai créé ‘Wizaplace’ c’est la dernière de mes entreprises il y’a quelques années maintenant, tu veux que je te fasse un peu le parcours ?
Stéphane : Oui, dis-nous d’où tu viens en fait ?
Eric : En fait, j’ai un parcours d’entrepreneur cliché, donc je n’avais pas beaucoup de sous au départ, je suis issu d’une famille ouvrière, père tourneur fraiseur chez ‘Alstom’, ouvrier, et mère au foyer, on était dans une bonne vieille ZEP, collège un peu compliqué.
J’avais vraiment une volonté forte de créer une entreprise très très tôt, puisque que j’ai commencé mon premier projet d’entreprise au lycée. Rapidement j’ai commencé à créer du patrimoine entrepreneurial comme ça, j’ai créé une première entreprise que j’ai vendu à quelques milliers d’euros, puis une deuxième que j’ai vendu à quelques dizaines de milliers d’euros, une troisième que j’ai vendue à quelques centaines de milliers d’euros.
C’est tout ça qui m’a permis de créer l’entreprise actuelle avec laquelle je vois un plus long terme, qui est ‘Wizaplace’, donc comme tu disais une entreprise de création de places de marché, de marketplaces. Aujourd’hui on est une soixantaine de personnes on a levé 13 millions d’euros il y’a 4 mois.
Stéphane : Donc c’est quoi une marketplace pour les personnes qui ne connaissent pas trop ?
Eric : Une marketplace c’est de l’e-commerce à plusieurs, c’est-à-dire une multitude d’entreprises qui regroupent leurs catalogues de produits ou de services sur un même site, et il faut une techno particulière pour créer ça. Donc ‘Wizaplace’ on est une techno de création de marketplaces.
Stéphane : Je sais qu’on en a très peu en France, je sais qu’on est n°1 mondiaux en France pour ça, je sais que tu es bien placé, les marketplaces je connais bien, j’ai vendu des bijoux sur Amazon, sur La Redoute, sur Cdiscount, sur Maty, sur RueDuCommerce, tout ça vous les connaissez tous, c’est des marketplace, et toi tu as cette solution pour les gens qui veulent se lancer.
60 personnes c’est beaucoup, vous avez levé 14 millions, comment tu as fait ? Quelle sont les choses que tu as pu faire pour arriver jusqu’à là ?
Eric : La première, c’est une extrême persévérance, c’est de savoir se mettre au-delà de sa zone de confort. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’entrepreneurs qui réussissent sur ce chemin là sans avoir une volonté de fou furieux, ça veut dire quoi ?
Ça veut dire, behn il y’a des moments, c’est assumer des situations où d’aller faire un crédit juste pour aller payer les paies du mois des salariés, c’est d’aller prendre des risques à des niveaux inouï. Moi j’ai fait des choses qui, aujourd’hui, me paraissent complètement dingues, et, non seulement que je ne regrette pas mais à refaire je les refais 10 fois, c’est tout ça en fait qui fait la différence entre ceux qui plantent et ceux qui réussissent, cette ultime persévérance.
Je pense que le premier facteur c’est d’y aller à fond, mais quand je dis à fond ça peut paraître un cliché, c’est d’aller très très loin, vraiment beaucoup plus loin que ce qu’on peut imaginer comme étant déjà très loin, certains diraient trop loin et c’est le moment où on pousse tellement fort que tous les éléments se mettent à s’aligner derrière vous ou devant vous, le moment où le banquier on ne lui laisse pas le choix, où le prospect on ne lui laisse pas le choix, le client on ne lui laisse pas le choix, par contre il faut évidemment avoir quelque chose qui a de la valeur.
Ça il faut l’avoir validé avant, on avait validé qu’il y’a des gens qui sont prêts à payer cher pour notre solution, donc après avoir validé ça, c’est là qu’on a poussé extrêmement fort. Il ne faut pas pousser très fort pour essayer de vendre les parapluies dans le désert mais, globalement, une fois qu’on a validé sa valeur, il faut y aller comme un fou furieux, voilà.
Moi je me souviens d’une période en 2008, je crois, où j’étais à moins 170 000€ sur mon compte perso, et moins 300 000€ sur le compte de la boite, voilà, ça c’est une belle période.
Stéphane : Ah oui ?
Eric : Et on a redressé, et la boite elle s’est vendue elle avait 1 million de tréso en cash, un an et demi plus tard.
Stéphane : Un an et demi plus tard tu as remonté t’as remonté 470 000€.
Eric : Oui, et ça c’est le moment où on ne lâche pas. Je pense que c’est ce qui fait qu’on devient très forts, et qu’on apprécie même de se prendre des problèmes, on les prend tous comme étant des problèmes tellement bénins, à partir du moment où on a vécu des problèmes si lourds, si importants, en fait ça devient facile d’avoir un client qui dit ou d’avoir un bug sur son logiciel, tout ça, ça devient anecdotique, et on apprend à réagir très vite en notre solution.
Voilà, pour moi, ça c’est le premier facteur, c’est de ne jamais lâcher l’affaire, et quand je n’ai jamais lâché l’affaire c’est pas en mode : « il faut bien bosser ». Ça c’est n’importe où. C’est vraiment pour aller plus vite il faut passer par là.
Le deuxième point c’est, là je vais aller un petit peu à l’encontre de ce que beaucoup de gens disent, je pense qu’il faut être long à lâcher l’affaire, opérationnel en tant que chef d’entreprise, je pense qu’il faut que le patron comprenne longtemps ce que ses équipes font. Il faut qu’il essaye de participer à la conception technique, il faut qu’il (inaudible) pour être au milieu, pour comprendre, il faut qu’il soit avec l’équipe (l’équipe des fois, au début, peut être formée de 4 personnes, 2 personnes ou 1 personne),on a été 4 pendant un an donc, je dis des équipes, des fois c’est des équipes de 1. Etre au marketing, être au commerce, j’ai été le seul commercial de la boite pendant 2 ans, j’ai recruté mes premiers commerciaux plus de 2 ans après le lancement, et il y’en avait déjà 40 clients qui payaient plusieurs dizaines de milliers d’euros chacun.
Il faut vraiment pas avoir peur de mettre les mains dans le cambouis à toutes les étapes, et à partir du moment où on est vraiment saturé, là on délègue. Mais on délègue pour de vrai par contre. On prend quelqu’un qui est meilleur que nous dans ce secteur-là, quand bien même j’ai fait du commerce pendant 5 ans pour Wizaplace, 2 ans tous seul et 3 ans avec des collègues, quand j’ai lâché l’affaire (donc là j’ai totalement lâché j’ai plus de (inaudible), j’ai un directeur commercial qui est hyper expérimenté). J’ai pris un level AAA, j’ai pris un type brillantissime, qui a été directeur CO chez SAP ou dans des DU de Salesforce. Et pareil pour le market, j’ai pris une petite jeune mais hyper brillante, pareil aux opérations où j’ai pris quelqu’un qui est à la direction de (inaudible) e-commerce chez –GFI), j’ai pris dans chaque secteur des gens brillants.
Stéphane : Oui oui, mais ça va, je t’entends donc c’est bon, écoute franchement, oui je comprends maintenant beaucoup essayent de déléguer très vite, tu penses que c’est une erreur ?
Eric : Je pense que c’est une erreur, je pense qu’il ne faut pas déléguer, je pense qu’il faut co-travailler, mais qu’il ne faut pas lâcher l’affaire. Je n’ai pas lâché l’affaire dans le market avant d’avoir une personne vraiment brillante où je me suis dit, cette personne à qui je délègue, elle est vraiment nettement meilleure que moi, elle n’est pas juste un peu meilleure.
Stéphane : Pourquoi tu (coupure) en fait, parce que quoi, un problème de risque ?
Eric : Parce qu’il n’y a personne qui est meilleur vendeur d’une entreprise que son CEO, avant très longtemps. Y’a personne qui est meilleur pour imaginer la valeur, et donc, le produit, et ses features que le CEO, Parce que c’est vous, vous avez ça dans le sang, c’est à vous, c’est votre enfant, y’a pas de meilleure façon de le faire que ça, et donc si on le délègue très tôt, la société va perdre cette essence, cette énergie absolument folle qu’on peut amener on y allant et on y allant à fond mais vraiment à fond.
Moi j’ai été salarié chez Audika, une boite dans l’audioprothèse pendant plusieurs années, l’énergie que j’ai mis chez Audika, elle était déjà élevée, mais par rapport à celle que j’ai mis dans mes entreprises, c’est 5% !
Stéphane : Oui, je suis d’accord.
Eric : Et vos salariés, même si vous les embarquez, même si vous leur donnez des parts des (inaudible), ben peut être vous allez réussir à les monter de 30%, de ce qu’un entrepreneur il donne. C’est pas pareil.
Stéphane : Totalement d’accord, moi j’ai rien foutu pendant.. Je travaillais mais en fait rien par rapport à ce que j’ai fait après quoi, et on découvre ça quand on y est.
Eric : On a l’impression qu’on est à fond, attention, le salarié croit qu’il est à fond.
Stéphane : T’as pas envie de vivre le goulag, mais tu le vis parce que tu l’as créé ton goulag, et puis bon tu n’as pas le choix.
Eric : Et on prend plaisir à ce putain de goulag, moi j’adore ça
Stéphane : Oui il y’a des contreparties quoi.
Eric :Moi j’adore, je trouve ça formidable, c’est tellement stimulant. Ton objectif ça ne peut pas juste être de savoir marcher, toi tu ne peux pas dire : chaque jour, mon objectif de la journée, c’est de faire 3 pas. Evidemment que tu vas le tenir ton objectif, mais il est pourri cet objectif ! Il faut que ton objectif soit de déplacer des montagnes, c’est de toucher la lune.
Stéphane : Excuse-moi de faire l’analyse à chaud là comme ça, mais, finalement cette énorme volonté, cette capacité de travail que tu as démontré depuis quelques minutes, ça vient peut-être de ton parcours. Imagine que tu sois né dans une famille qui a une belle maison, des frères et sœurs médecins ou je ne sais quoi, est ce que tu aurais eu cette faim ? C’est pas sûr, vraiment vraiment pas sûr.
Eric : Bien sûr que non. Si on réfléchis bien, les géants mondiaux, la plupart du temps, ils sont créés par des gens qui sont des ‘self made men’, Microsoft : Bill Gates c’est un self made man, pareil pour Zuckerberg. En fait, il faut qu’on en ait un peu chié, ça fait partie du parcours.
Stéphane : Et on en revient, c’est rigolo, parce que là je n’ai pas envie de dégraisser mais obligé un peu de le faire quand même, je me rends compte autour de moi, moi j’ai vécu une enfance à la cool, tu vois, je n’ai jamais eu de problème, tout allait bien pour moi, mais en fait j’avais des problèmes humains, parce que je n’étais pas capable de comprendre parce que je n’étais pas capable de comprendre les problèmes des autres, j’en avais jamais eu moi-même. Comment veux-tu que je me focalise ? et c’est la valeur de la vie du temps que si t’en as chié grave, alors quelque part tu es une personne beaucoup plus riche parce que t’en as chié.
Eric : Mais ça fait partie du parcours, on fait si on regarde bien, je suis sûr qu’on ferait ça, on ferait une analyse on n’a pas le temps de la faire, de toutes les boites qui sont montées dans les 10- 15 dernières années et qui sont devenues importantes, le nombre de gens qui étaient déjà millionnaires ou des gens hyper aisés, il n’y en a pas tant que ça, y’en a pas beaucoup.
Stéphane : Donc on retient quand même que, justement, c’est une force de partir de loin, c’est vraiment quelque chose qui va te donner un gros plus potentiellement.
Eric : Après le deuxième point, c’est ce que je t’ai dit sur le fait de vraiment pas lâcher les mains dans les cambouis avant un bon moment.
Et le troisième point que je dirai c’est, il ne faut pas avoir peur de faire confiance aux gens à partir du moment où on a passé le cap, et ensuite par contre elle est dure si on ne vous rend pas cette confiance.
Je me lâche pleinement et entièrement avec mes collaborateurs mais je leur donne un niveau d’autonomie, des salaires plutôt élevés, des responsabilités élevées, c’est ce qu’ils demandent, quand ils le demandent, et par contre, en contrepartie, j’attends d’eux qu’ils soient au niveau qu’ils me promettent. Et sinon, il faut savoir couper le cordon quand ça ne marche pas. Il ne faut pas se traîner des boulets trop longtemps.
Stéphane : (inaudible) Michel de Guilhermier tu verras ses vidéos très intéressantes, c’est un très très grand entrepreneur qui a fait 120 levées de fond dans sa carrière, qui a géré des milliers de personnes donc il nous explique ça très bien, je l’ai eu récemment, tu verras, ça va dans ce sens.
Eric : Ben écoute, moi je pense qu’il faut faire confiance vite, il faut enlever sa confiance vite. Je ne sais pas si tu connais la théorie des jeux, c’est, comment à la fin tu gagnes c’est de vite faire confiance, par contre de pas être rancunnier, savoir enlever sa confiance et de la remettre rapidement si par contre l’autre fait un effort. Et, je crois que dans le business, c’est vrai plus qu’ailleurs. Quand on voit qu’il y’a Samsung qui fait un procès à Apple, puis juste après qu’Apple demande des processeurs et des écrans, Samsung est le premier à répondre à l’appel d’offre. Voilà, c’est ça, c’est un coup de bâton, puis juste après, ok c’est bon, maintenant on est quitte, je te resserre la main et on y retourne, c’est un peu ça en version pas vrai coup de bâton.
Stéphane : Oui, pourquoi avoir cette rancune, je ne comprends pas les gens qui sont comme ça, l’ego doit disparaître en business et même dans la vie en général, redonner confiance, on n’est pas en train de mettre les gens dans des cases pendant des années, ça n’a aucun sens, les gens changent, et nous aussi on change, il faut redonner la chance.
Eric : Ben, c’est un peu le fonctionnement comme ça, parce que, on ne va pas sentir rapidement, c’est nos équipes qui font le plus de production, très rapidement, genre, après 6 mois de la création d’une boite, les équipes produisent beaucoup plus que le CEO, le CEO il structure, il organise, et qu’est ce qui se passe ?
C’est que, ces équipes-là si on ne leur donne pas toute cette matière-là et qu’on les choisit mal, et qu’on laisse des gens qui pourraient être tirés si on fait le jeu du tir à la corde et qu’il y’a un qui tire dans le mauvais sens, ça va pénaliser toute l’équipe, behn c’est ça en fait, le risque est vraiment important là-dessus, et ça je l’ai vécu. A refaire je crois que j’irai plus vite dans certaines séparations, mais c’est à peu près le seul regret que je vais avoir parce que je crois que, si j’avais eu plus d’argent, je pense que j’aurai été beaucoup moins créatif, et on aurait été finalement moins vite, parce qu’on aurait eu besoin de se prendre quand même les mêmes erreurs par contre (même en étant plus riche). Je pense aussi qu’en étant plus bardé de diplômes – ce que je suis pas – je ne pense pas non plus que ça m’aurait vraiment aidé, parce que je vois bien, je recrute des gens de tout catégories socioprofessionnelles, ça ne change pas grand-chose à la fin. Au bout de 10 ans le diplôme initial…
Stéphane : Ce qu’on peut apprendre à l’école on peut l’apprendre ailleurs dans la vie.
Eric : Mais il le faut, il faut varier. Ce que je veux dire c’est qu’il n’y a pas un profil type qui marchera, c’est pour ça qu’il faut vite donner sa confiance, même à des profils auxquels on ne s’attendait pas forcément. Par contre il faut vite la retirer si ça ne va pas.
Stéphane : Franchement, ça me semble que tout ça c’est des bons conseils, des choses qu’on a du mal à mettre en œuvre donc il faut, non seulement qu’on t’écoute, qu’on y repense, qu’on applique, et au final, c’est une des clés pour réussir évidemment, bien sûr.
Merci Eric, tout ça c’est très très pertinent, c’est du vécu, tu as fait un parcours incroyable, continue, je te souhaite toute la chance du monde, continue comme ça
Eric : Merci, pareil à tous les gens qui regarderont, je leur souhaite un super succès.
Stéphane : Bravo, merci Eric, salut.
Eric : Ciao.